La maman qui couve son bébé d’un regard aimant est une image éternelle. Aujourd’hui elle est déclinée sur tous les tons, dans toutes les versions, sur tous les écrans et tous les murs. L’enfant désiré ne peut être qu’aimé, tout le temps, toujours.
Pourtant ces images idéalisées voilent une réalité nettement plus complexe : chaque mère a éprouvé des sentiments négatifs vis-à-vis de son bébé, voire de la haine. Comment comprendre ces mouvements qui surgissent brusquement et provoquent culpabilité et honte ?
Devenir parent
Aujourd’hui, rien ne nous prépare à la position de parent. Notre société laisse baigner les enfants dans un environnement où ils occupent une position centrale. Passer du statut d’enfant à celui de parent, à son tour responsable du bien-être de son enfant, est toujours un choc, un basculement d’ « être de droit » à « être de devoir ».
Socialement, rien ne sera plus comme avant : les relations avec les amis et les projets professionnels sont modifiés. Finies les sorties arrosées et les concerts jusqu’à pas d’heure,… Familialement, tout est également rejoué: la vie de couple en prend un coup, les relations avec parents et belle-famille sont bousculées, tout le monde change de place, de génération. Il faut du temps pour intégrer ces modifications.
Etre mère
Même avant sa naissance, la grossesse menace le corps de la femme. Il en ira de même à l’accouchement – depuis toujours vécu comme un risque – et du fait de l’allaitement. L’enfant ne se contente pas de téter avec douceur : il mord et blesse les mamelons. Ensuite, ses pleurs seront difficiles à décoder, à supporter tandis que ses nuits chahutées viendront troubler le sommeil de ses parents.
Cet enfant a été rêvé, idéalisé… Mais une fois arrivé, il y a un décalage : il ne correspond jamais à l’enfant de ses rêves ni à celui des jeux de sa propre enfance, il ressemble trop ou pas suffisamment à tel ou tel membre de la famille.
« Pour lui, je me coupe en quatre, tandis que son amour brûlant n’est qu’un amour de garde-manger. Lorsqu’il a obtenu ce qu’il veut, il me rejette comme une vieille chaussette. Certains jours, cruel, il me traite en esclave. ». Non seulement, la maman doit partager son enfant, le laisser prendre plaisir à d’autres bras, l’ouvrir au monde mais voilà qu’il se détourne d’elle. Il est soupçonneux, refuse un plat préparé avec amour… et mange sans problème avec sa tante! Après une matinée épouvantable, elle sort avec son bébé et s’étonne de le voir sourire au premier étranger venu. « Il est tellement mignon», dira le passant. Comment ne pas douter de ses compétences ?
Son bébé l’excite et la frustre. Se mélangent en elle des mouvements émotionnels très intenses qui la bouleversent : amour, passion, fusion, rejet, détestation… Animée de ces contradictions, la maman doit ainsi aimer son enfant tout entier, en ce compris excréments, baves, régurgitations…
Oui, elle supporte tout cela. Etre à ce point maltraitée par son enfant, le haïr sans pour autant s’en prendre à lui et postposer une valorisation qui s’offrira, ou non, à une date ultérieure. Sans compter qu’il ne faut pas être trop immobilisé par la crainte de ne pas être parfaite, ni par l’idée des reproches que l’enfant ne manquera pas de faire plus tard.
Accepter l’ambivalence
Etre parent, c’est apprendre toutes les difficultés d’une telle place d’asymétrie. Le bébé ne peut se rendre compte de ce que sa mère fait pour lui, ce qu’elle sacrifie. On pense donc communément qu’il ne peut y avoir de place pour la haine et les mères doivent se débrouiller en silence avec leurs sentiments négatifs.
Ces sentiments sont tellement souterrains que parfois ils peuvent la mettre dans un état d’étrangeté qui la trouble. Oserait-elle penser que parfois elle déteste ce petit tyran ? Sans doute est-il important qu’elle sache qu’elle n’est pas la seule à vivre de telles émotions. En se dégageant de l’image idéalisée de la maternité et des donneurs de leçons toujours au rendez-vous, elle pourra trouver sa manière de vivre son ambivalence.
Une manière de jouer avec haine, agressivité, culpabilité se retrouve dans les comptines comme celle où il est question de petits navires et de matelots qu’il faut sacrifier. Chaque famille invente ses petits noms ambigus « Mon petit cochon » « Mon joli crapaud », imagine de réduire bébé « en chair à pâté », mime la dévoration « Je vais te manger tout cru », la disparition (Le jeu des orteils), la chute (Hue, hue, à dada),…
Jouer, inventer des histoires, en rire entre parents : « Il ne correspond pas au catalogue », « Le service après vente, il est où ? »… Autant de manières de ne pas être trop serré par l’idéal et le devoir et faire l’expérience que ces difficultés sont partageables.
Certes, pour se développer, il est nécessaire que les besoins du nourrisson dominent au début de son existence, qu’il soit protégé des heurts, que la vie se déroule à son rythme… Tout cela exige de l’adulte une présence plus attentive et constante, qu’il se sente à l’aise dans les petits gestes de la vie quotidienne : tenir son enfant dans ses bras, le nourrir, … Ce qui n’empêche pas de reconnaître les sentiments ambivalents quand ils affleurent, car mieux les nommer aide à mieux les traverser.