Désirer, concevoir et attendre un enfant

Par France Potvin,
psychologue spécialisée en périnatalité.

Introduction

Qu’est-ce qui peut bien motiver une femme et un homme à vouloir un enfant, sachant que cette décision aura des impacts directs sur leur vie personnelle, de couple et sociale ? Quand est-ce le bon moment ? Est-ce bien l’homme que vous souhaitez comme père de votre enfant ou cette femme comme mère de votre enfant ? Sur quels critères repose ce choix ? Quelles sont vos motivations conscientes et inconscientes ?

Comment traverserez-vous l’expérience de la grossesse, de l’accouchement et du post-natal ? Vous sentez-vous suffisamment « équipés » comme personne et comme couple pour vous adapter à cette nouvelle vie ?

Tous ces questionnements et insécurités sont normaux et doivent pouvoir s’exprimer librement pour libérer la charge émotive de cette expérience de transformation qui est à la fois excitante mais aussi parfois terrifiante… et surtout très engageante.

Cette première partie d’article explorera différents volets, c’est-à-dire la motivation à devenir parents, certains mythes ainsi que le vécu psychologique de la femme et de l’homme durant la grossesse. Vous y trouverez également des exercices et des pistes de réflexion.

La deuxième partie de l’article portera sur l’accouchement, le travail et la délivrance ainsi que l’accueil à l’enfant et le «bonding», c’est-à-dire le lien d’attachement.

Enfin, un troisième article viendra boucler cette trilogie et portera et sur le post-natal, le réseau social, le « baby blues», la dépression post-partum, la psychose ainsi que sur le choix du retour au travail ou celui de demeurer à la maison.

Les motivations d’être parents

Plusieurs couples m’ont exprimé leur besoin de partager leur amour, d’enrichir leur relation et d’avoir un projet commun. D’autres sentent le besoin de justifier leur vie, de laisser une trace de leur passage, de faire l’expérience de donner la vie. Parfois, ils cherchent à réparer une enfance difficile, à donner ce qu’ils n’ont pas reçu.

Certains autres couples ressentent la pression sociale, se font souvent questionner par leur entourage sur le fait d’avoir un enfant. J’ai aussi rencontré des couples qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfant, d’utiliser leur potentiel de création pour d’autres projets. C’est un phénomène assez récent et qui est rendu possible grâce à la contraception. Certains se conformeront à la norme, d’autres veulent combattre leur solitude et s’assurer d’avoir quelqu’un qui prendra soin d’eux lorsqu’ils seront plus âgés.

Il y a aussi des mythes concernant la venue d’un enfant comme celui de pallier ainsi à certains manques existentiels. Par exemple, les parents qui ont l’attente que leur enfant comblera leur vide ou qu’il les empêchera de ressentir leur solitude. Personne ne peut combler le vide de l’autre, celui-ci vous appartient. Il est alors souhaitable que vous alliez chercher de l’aide pour travailler vos propres blessures afin de ne pas les transmettre à votre enfant par des attentes affectives irréalistes et démesurées. Car de telles attentes provoqueront des sentiments d’étouffement, de rébellion ou de fuite.

Un autre exemple de motivation malsaine est lorsque l’un ou les deux partenaires croient qu’avoir un enfant les rapprochera et améliorera leur relation de couple. C’est rarement le cas, car cette expérience augmente le stress et les tensions provoquant ainsi davantage de scénarios de fuite et de conflits.

Finalement, d’autres croient que l’enfant ne changera pratiquement rien à leur vie d’avant, leurs habitudes, leur vie sociale !!!

Comme vous pouvez vous en douter, certaines de ces motivations conscientes ou inconscientes créent des attentes qui peuvent mettre beaucoup de pression sur chacune des personnes, sur le couple mais particulièrement sur l’enfant à naître.

Toutefois, plus ces motivations auront pu être conscientisées et échangées au sein du couple, plus il sera facile de séparer ce qui appartient à l’adulte de ce qui appartient à l’enfant. C’est l’inconscience qui crée les répétitions et la conscience qui permet l’amorce de changement. Toutefois, comme mentionné plus haut, parfois la bonne volonté de suffit pas et il est nécessaire de se faire accompagner pour mieux faire cette transition.

Exercice suggéré :
  • Donnez-vous rendez-vous et prenez le temps d’écrire individuellement quelles sont vos motivations d’avoir un enfant et vos attentes.
  • Ensuite, partagez celles-ci en écoutant l’autre, sans l’interrompre, puis vous pouvez lui poser des questions. Après, c’est à l’autre d’être écouté.
  • Le premier but de cet exercice est de vous exprimer librement, il est souhaitable d’éviter de juger l’autre ou de vous juger vous-mêmes. Le second but est de vous donner la possibilité de vous connaître davantage.
  • Cet exercice devrait durer entre 30 et 60 minutes. Il est préférable de prévoir plusieurs rendez-vous et de vous donner un contexte facilitant la concentration et l’intérêt que de créer de longs échanges en ayant le sentiment de tourner en rond.

Le vécu psychologique de la femme et de l’homme durant la grossesse

La grossesse, même si elle est désirée, est un stress normal, sain et naturel. Elle provoque beaucoup de questionnements, de peurs, d’insécurité, d’anticipation.

Pour la femme, on parle d’une crise psychologique créée par la sécrétion hormonale, le changement de l’image du corps, les anticipations et bien sûr, la perturbation du quotidien en lien avec les premiers symptômes physiques de la grossesse.

Pour l’homme, la grossesse de sa conjointe, c’est l’ultime confirmation de sa masculinité, elle le sécurise dans ses doutes et sur sa propre virilité. Bien sûr, beaucoup de sentiments émergent en même temps pour lui, il oscille entre la fierté, la joie, le doute « est-bien le mien ?» et parfois la peur des responsabilités.

La première grossesse provoque des changements dans la dynamique de la relation. D’une dyade que formait le couple, il doit amorcer la transition vers une triade. Si l’homme s’appuyait émotionnellement sur sa conjointe, il pourrait avoir de la difficulté à vivre les besoins émotifs plus grands de sa conjointe. La période de grossesse amène la femme à vouloir s’appuyer sur son conjoint, à désirer plus de solidité, de compréhension et de consolation.

L’homme, de son côté, se débat avec ses propres sentiments concernant la transformation physique de sa femme, une sexualité différente et doit apprendre à soutenir sa femme, dans un certain sens, à la « materner», à «prendre soin» d’elle.

Un homme sur dix vivra le syndrome de la couvade durant la grossesse de sa conjointe c’est-à-dire des réactions physiologiques reliées à son anxiété. Ces somatisations peuvent être : une prise de poids, de la nausée, des maux d’estomac, une perte d’appétit, des maux de dents ou la dilatation de l’abdomen. Ces symptômes apparaissent vers le 3e mois et disparaissent après la naissance de l’enfant.

Exercice suggéré :
  • Posez-vous les questions suivantes et partagez les réponses.
  • En apprenant l’annonce de la grossesse, quelle a été votre première réaction ? Vivez-vous une certaine ambivalence ? Quelle a été la réaction de votre entourage ?
  • Votre réaction sera évidemment différente si cette grossesse était planifiée que si elle ne l’était pas. Ce qui est sain, dans une relation, c’est de pouvoir s’exprimer librement sans se sentir jugés d’avoir telle ou telle émotion. Si vous avez peur et que vous ne pouvez l’exprimer, sans vous sentir critiqués ou anormaux, celle-ci risque de prendre de l’ampleur beaucoup plus que si vous pouvez en parler. Jacques Salomé disait : « Ce qui ne s’exprime pas, s’imprime». Il y a une croyance populaire qui fait croire que de parler d’une peur, la fera arriver ou la fera grossir. C’est plutôt l’inverse, car le fait d’en parler fait prendre conscience de cette peur et lui fait perdre de son intensité.
  • Ce qui aide dans une relation c’est de pouvoir s’accueillir et se rassurer ce qui n’empêche évidemment pas d’apprendre à s’auto-rassurer quand l’autre n’est tout simplement pas capable de le faire. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises émotions. Chaque émotion cache une peur ou un désir.

Le premier trimestre

Les parents s’adaptent à la nouvelle de la grossesse, aux changements du corps mais il n’y a pas encore évidence réelle du fœtus.

La femme, durant ce premier trimestre, fait un retour sur sa propre enfance et sur la relation avec sa mère. Elle tente d’acquérir son identité maternelle. Elle fait le tri entre les qualités maternelles appréciées et les aspects difficiles de sa propre enfance. C’est aussi la période où elle a peur de perdre son enfant.

C’est le stade de l’incorporation c’est-à-dire de la fusion du fœtus avec son propre soi. Cette période se compare à l’expérience de « tomber en amour», qu’on appelle la phase romantique.

Plus l’angoisse est élevée pour la mère et plus ses symptômes somatiques seront intenses et nombreux. La plus grande peur à ce trimestre est souvent celle de faire une fausse-couche particulièrement si la mère en a déjà fait une.

L’homme, durant ce premier trimestre, peut être anxieux ou envier sa conjointe pour l’attention qu’on lui porte. Il peut également se sentir en rivalité avec sa belle-mère qui peut prendre beaucoup de place dans le discours de sa conjointe. Certains hommes qui ne réussiront pas à débuter une nouvelle alliance avec leur conjointe en partageant leurs angoisses, fantasmes ou leurs joies pourraient avoir tendance à se tourner vers leurs anciens amis.

Exercice suggéré :
  • Posez-vous les questions suivantes et partagez les réponses.
  • Que désirez-vous, un garçon, une fille ? Il peut arriver que votre désir soit différent et c’est normal. Y a-t-il des raisons qui font que vous désirez plus un sexe que l’autre ? Cette réflexion vous mettra sûrement en contact avec votre propre maternage ou paternage, c’est-à-dire avec vos propres liens parentaux. Avez-vous eu un père absent, présent, impliqué dans votre éducation ? Avez-vous eu une mère aimante, envahissante, envieuse, dépressive ?
  • Ce qui est sain, c’est de pouvoir partager vos expériences pour vous découvrir davantage et de reconnaître vos différences familiales et parfois culturelles.
    Ce qui est malsain, c’est d’utiliser ce que vous apprenez pour écraser l’autre ou pour vous comparer.

Le deuxième trimestre

Les parents commencent à reconnaître le fœtus comme un être qui sera, à terme, séparé de sa mère. Cette reconnaissance est confirmée par les premiers mouvements du bébé qui manifeste sa présence physique.

C’est aussi la période où les futurs parents se questionnent sur le suivi de grossesse. Ils explorent les différentes possibilités : avec un médecin ou un gynécologue et une sage-femme ou une accompagnante. Ils se renseignent aussi concernant les différentes préparations à la naissance : cours prénataux, l’haptonomie, la méthode Bonapace, la préparation affective à la naissance. Ils se tourneront peut-être aussi vers les médecines douces : l’acupuncture ou l’ostéopathie. Enfin, d’autres iront consulter en thérapie de couple ou en psychothérapie individuelle. Comme vous pouvez le constater ce n’est pas l’aide qui manque !

Physiquement, ce sont des mois plus calmes, le risque de perdre leur bébé est moins présent, les nausées s’il y en avait ont généralement disparues. Les rapports sexuels sont chez 80% des femmes plus satisfaisants, ces dernières se sentant plus érotiques et ayant retrouvé plus d’énergie.

La femme est maintenant concentrée davantage sur sa relation avec son conjoint et son rôle. C’est le temps de belles discussions quand l’ouverture et la communication sont au rendez-vous.

Pour elle, c’est le stade de la différenciation, c’est-à-dire la reconnaissance d’une vie séparée. Le bébé devient un nouvel objet dans le Soi.

Pour l’homme, c’est le moment où il sent l’enfant bouger pour la première fois. Cette expérience est pour lui exaltante et parfois inquiétante. Cette sensation le plonge dans sa paternité d’une façon très physique. C’est aussi la période de la première échographie où les deux pourront voir ce petit être vivant. L’importance de la présence du père à cette expérience est indéniable.

L’intérêt de la femme est maintenant tourné davantage vers son conjoint, elle vit la peur qu’il arrive un accident à ce dernier, demande qu’il l’appelle et peut avoir peur qu’il l’abandonne. Celui-ci peut sentir son indépendance menacée. Plus, il saura rassurer sa conjointe, plus cette dépendance temporaire sera de courte durée.

Exercices et suggestions :
  • Vous êtes-vous déjà questionné sur le type de relation que vous avez ensemble ? Qui prend soin de l’autre, qui est rassurant, qui prend les décisions et assume les responsabilités ? Est-ce l’un de vous en particulier ou le faites-vous mutuellement ? Comment vous percevez-vous comme future mère, futur père et bien sûr comment imaginez-vous que l’autre sera dans ce rôle ? Quelles sont vont valeurs éducatives?
  • Prenez le temps d’échanger vos perceptions, sans juger, lors d’un « rendez-vous» de 30 à 60 minutes. Parfois, il est mieux de laisser cogiter ces partages et d’y revenir après réflexion.

Le troisième trimestre

Troisième mois grossesseLes parents commencent à ressentir l’enfant à venir comme un individu et le fœtus contribue à sa propre individualisation par ses mouvements, ses rythmes et ses niveaux d’activités distincts de ceux de la mère.

La mère vit un sentiment d’orgueil et d’accomplissement tout cela mêlé d’anxiété devant l’inconnu et la crainte de la douleur physique. Elle reçoit plus de petites attentions de son entourage. C’est à cette période qu’elle cesse le travail à l’extérieur et se retrouve, peut-être pour la première fois à temps plein à la maison, seule dans le cas d’une primipare (mère qui attend son premier enfant). Elle a du plaisir à manipuler le linge du bébé et à préparer la chambre de son bébé et s’attend à la participation du père. Cette étape de préparation du nid revêt une grande importance pour la mère. Elle paraît quelquefois un peu exagérée pour l’homme qui se dit qu’il y a encore beaucoup de temps. Cependant, la mère est souvent inquiète d’avoir un bébé arrive prématuré. (voir l’autre version ) Elle rêve la nuit de bébés, d’accouchements et parfois en contact avec certaines peurs comme celle de sa propre mort, de celle de son bébé et de la séparation physique imminente d’avec! son bébé. La multipare (mère qui attend son 2e enfant ou plus), sait ce qu’est l’accouchement et peut être anxieuse particulièrement, si le premier accouchement a été difficile et ne correspondait pas à ses attentes.

Au 9e mois, certaines femmes sont très angoissées et peuvent être sujettes à l’hyperactivité afin de se couper d’elle-même sur le plan émotionnel. Cette réaction est néfaste à cause de l’épuisement qui s’ensuit et surtout que les peurs non exprimées ne font que s’amplifier. Le conjoint et l’entourage peuvent la soutenir en prenant le temps de l’écouter parler de ses peurs, lui permettant ainsi de les conscientiser et de verbaliser ses sentiments. L’homme pourrait avoir tendance à vouloir trouver des solutions ou de juger sa conjointe comme dramatisant les choses. Toutefois, la femme a souvent seulement besoin d’être écoutée pour faire baisser son anxiété. C’est aussi durant les dernières semaines que se manifestent les fausses contractions qui peuvent faire peur à la femme mais qui en fait sont normales, servant à préparer le corps au travail imminent de délivrance. Le sommeil est souvent perturbé par l’inconfort physique.

Pour l’homme, s’il a réussi à traverser la crise de la grossesse en accueillant ses sentiments d’envie et de compétition, en étant davantage en contact avec ses propres aspects féminins, en faisant face à sa peur des responsabilités, il pourra vivre une période de rapprochement avec sa conjointe et une évolution dans leurs liens relationnels.

S’il n’a pu traverser cette crise et qu’il a fui dans le travail, le sport, les aventures, l’alcool, les sorties et les absences de plus en plus prolongées, il aura beaucoup de difficulté à s’impliquer dans la préparation à l’accouchement.

La nuit, il rêve aussi à l’accouchement. Il peut avoir peur de perdre sa femme ou son enfant ou qu’il arrive quelque chose au moment du départ pour l’hôpital ou la maison de naissance. Exemple, un pneu crevé à la voiture… pas le temps de se rendre sur place, etc.

Suggestions :
  • Qu’est-ce qu’il vous reste à faire ou préparer avant l’accouchement ? Faites équipe pour vous préparer le plus possible afin de faire baisser le stress et la peur de ne pas être prêts lors de l’arrivée de l’enfant. Mijotez des petits plats et congelez-les. Avez-vous des demandes d’aide à faire auprès de vos familles pour vous soutenir lors du post-natal ? Connaissez-vous d’autres couples qui attendent un enfant et avec lesquels vous pourriez partager ?
  • Du fait que les familles n’habitent souvent plus dans la même ville, que les futures grands-mères sont souvent au travail et peu disponibles pour les relevailles, il est important de vous assurer d’avoir un réseau sur lequel vous pourrez compter. Il existe sûrement dans votre quartier des services de marrainage, c’est-à-dire des femmes qui ont déjà vécu un post-natal et qui vont à la maison durant quelques heures pour permettre du répit à la mère. N’hésitez-pas à contacter le CLSC ou à vous informer auprès de votre médecin ou sage-femme pour connaître ces ressources.
  • L’isolement social doit être évité. À cause du plus petit nombre d’enfants et de l’éloignement des familles, il arrive que des futurs parents n’aient jamais eu la possibilité de prendre un nouveau-né dans leurs bras. Si vous avez la chance de connaître des parents de jeunes bébés, n’hésitez pas à demander de les prendre dans vos bras afin d’apprivoiser la réalité d’un nouveau-né.

En conclusion, si vous réalisez que malgré votre bonne volonté, la communication est difficile entre vous, que les tensions dans votre relation sont très grandes ou que certaines expériences personnelles de votre passé risquent de faire obstacle, n’hésitez pas à consulter afin de pouvoir augmenter votre sécurité et de vivre cette expérience avec plus de légèreté.

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